Interview - Robert Tuohy, directeur musical de "L'Enfant et les Sortilèges" et "L'Heure espagnole"
Robert Tuohy assure la direction musicale de "L’Enfant et les Sortilèges" et de "L’Heure espagnole". Découvrez son interview.
- Pouvez-vous revenir sur votre parcours de chef d’orchestre et sur les orchestres que vous avez dirigés ?
Je suis né aux États-Unis, où j’ai été admis au Cleveland Institute of Music puis j’ai étudié la direction d’orchestre au Royal Academy of Music de Londres. Entre 2009 et 2013 j’ai été chef assistant à l’Opéra national de Montpellier, où j’ai eu l’occasion de diriger des productions comme Manon Lescaut et Lakmé, ainsi que de nombreux concerts symphoniques. J’ai ensuite été nommé directeur musical de l’Opéra de Limoges pendant 9 ans. Ces dernières années, j’ai eu aussi l’occasion de diriger les orchestres du Bolchoï, de l’Opéra de Marseille, l’Opéra de Toulon, l’Opéra de Reims, l’Opéra d’Avignon, l’Orchestre National des Jeunes de la Russie, de Cagliari, Verona, l’Orchestre symphonique de la radio de Prague, l’Orchestre national d’Île-de-France, entre autres. Je suis très heureux d’être à Tours pour diriger cette belle production.
- Comment avez-vous travaillé la partition "L’Enfant et les sortilèges" et "L’Heure espagnole" ?
Nous avons donné en novembre dernier cette production à l’Opéra d’Avignon. C’est donc la deuxième étape de notre tournée avec la même distribution pour les deux opéras. Seul le chœur de l’opéra, la maîtrise et l’orchestre changent. La grande différence dans le travail réside dans le fait qu’à Avignon, les deux opéras étaient donnés en orchestration réduite, avec une trentaine de musiciens dans la fosse. Ici à Tours, nous jouons les deux opéras en grands effectifs avec l’orchestration de Ravel dans toute sa splendeur. C’est un pur bonheur !
- Comment se passe la collaboration entre vous, l’orchestre, les chœurs et les solistes ?
La collaboration entre tous ces éléments se passe très bien. Ce sont des morceaux extraordinaires, magnifiques à chanter et à jouer. Chaque rôle et chaque pupitre de l’orchestre à l’occasion d’être mis en valeur et de briller. L’une des grandes qualités de Ravel était sa connaissance profonde de la science de l’orchestre, et de savoir comment utiliser tous les moyens possibles pour raconter la trajectoire de l'œuvre.
- Les deux opéras ont été composés par Maurice Ravel, que vous inspire ce compositeur ?
Ce sont deux chefs-d'œuvre absolus. Il change son écriture vocale en fonction des personnages, ou de l’orchestration tout en servant la grande ligne de la pièce. Un exemple parmi tant d’autres : au début de l’Enfant et les Sortilèges on entend deux hautbois dans une tessiture aiguë jouant un organum parallèle qui fait penser à une musique médiévale. On sait que la question de l’enfance pour Ravel était quelque chose d’important dans sa vie (il était très proche de sa mère, qui est morte en 1917). Le choix d’un style ancien pour le début de la pièce signale qu’il s’agit de quelque chose de profondément ancré dans l’être humain, presque archaïque. Ce thème revient à la toute fin de l'œuvre, transfiguré par l’addition de deux violon solos, le chœur, et l’orchestre. Un moment magique.
- En quelques phrases comment décrire la mise en scène de Jean-Louis Grinda ?
Jean-Louis est un vrai homme de théâtre. Chaque détail sur scène sert l’histoire et la musique. C’est aussi quelqu’un qui aime beaucoup les artistes et cela se voit dans sa mise en scène. On sent qu’il comprend les partitions et c’est un vrai bonheur et une grande joie de travailler avec lui. Ces deux productions sont des joyaux, et je suis sûr que le public tourangeau va les adorer.
- Dans ces deux opéras, un chœur d’enfants participe aux représentations. Votre approche dans le travail est-elle différente de celle que vous pouvez avoir avec des professionnels ?
Mon approche est différente puisque pour certains enfants, c’est la première fois qu’ils se produisent sur scène. J’essaye de toujours faire cela dans la bienveillance et le soutien pour faire en sorte qu’ils soient à l’aise et qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes.
- Votre scène préférée?
L’Heure espagnole est une pièce extrêmement drôle rien qu’en lisant le texte. Si l’on rajoute la musique et le chant cela l’est encore plus. Dans l’Heure espagnole la déclamation et la prosodie dirigent un peu la musique. Il faut être sensible à cela pour faire rire le public, faire comprendre certains doubles sens avec des blagues parfois osées mais qui sont toujours soulignées avec beaucoup d’élégance par Ravel.
L’Enfant et les Sortilèges est une pièce très différente, même si l’on sent que là aussi le texte (de Colette) est primordial pour Ravel. Ici on est plus dans une succession de scènes avec des atmosphères disparates (féérique, dramatique, touchante, drôle, etc). Une scène me vient à l’esprit et est placée vers le début de l’Enfant et les Sortilèges. Il s’agit d’un dialogue entre une tasse chinoise et une théière anglaise. On est alors dans une sorte de ragtime à l’américaine qui nous amène pendant près de trois minutes dans une comédie musicale. Ravel nous montre ainsi qu’il est capable d’écrire cela tout aussi bien que n’importe quel compositeur américain. C’est un passage que j’adore particulièrement !